Depuis novembre 1954, l’Algérie, territoire
national français, connaissait des actions de révolte du FLN (Front de
Libération Nationale) contre les personnes et les biens d’origine européenne.
En réponse, l’armée se déploya dans tout le pays pour effectuer des opérations
de maintien de l’ordre. Pour établir cette présence, il fallait un grand nombre
de soldats et presque tous les jeunes garçons retenus pour le service militaire
y furent envoyés.
Comme partout, les jeunes
de Bouaine âgés de 20 ans voyaient cette période approcher. Ils n’avaient pas
d’appréhensions particulières. Ils espéraient faire partie de ceux qui ne
seraient pas appelés dans ce pays. La désinformation des médias ne laissait pas
paraître la réalité de la situation. Jusqu’à la mort de Jean Baudry en 1960, le
seul appelé de Bouaine tué là-bas, le danger n’était pas palpable. L’arrivée au
pouvoir du Général de Gaulle donna l’espoir vain d’une solution rapide.
Aussi, les jeunes
appelés partaient sans crainte, pas par patriotisme, simplement pour faire leur
temps sous les drapeaux. Mais si la durée légale du service militaire était
alors de 18 mois, le temps pouvait être prolongé selon les besoins en hommes.
Certains firent jusqu’à 28 mois.
En arrivant en Algérie,
ils étaient éblouis par les paysages bien plus vastes que notre bocage. Ils
découvraient aussi deux sociétés, celle plutôt aisée des pieds-noirs et celle
opprimée des arabes. La première avait peu de considération pour les jeunes
militaires, la seconde était difficile à approcher à cause de la langue et du
conflit armé.
Des événements vécus
dans les opérations, les appelés sont peu diserts. Ce qui s’est souvent passé
n’est pas une fierté pour eux. Les exactions comme l’utilisation de la torture
étaient contraires à l’éducation qu’ils avaient reçue. Pour obtenir leur
silence, les supérieurs les impliquaient dans ces sales besognes pour
lesquelles ils n’avaient pas le choix. La gégène, soit ils la pratiquaient sur
les prisonniers, soit ils la subissaient eux-mêmes.
Même pour le putsch des
généraux en 1961 ils n’eurent pas leur mot à dire. Privés d’informations, ils
ne pouvaient en comprendre la cause et furent donc manœuvrés comme des pions.
Ce fut un tournant dans la guerre car ce putsch sema la division à l’intérieur
de l’armée et engendra des attentats préparés par l’OAS. Nos appelés de Bouaine
s’occupèrent alors plus de désarmer les civils pieds-noirs.
Quand la quille tant
attendue intervenait, nos jeunes n’étaient pas aussitôt libérés de la condition
militaire. Psychologiquement, ils restaient sur le qui-vive avec la peur au
ventre, agressifs sur tous les sujets, voire parfois méchants et hargneux. Il
leur fallait bien 6 mois pour recouvrer leur caractère d’origine et retrouver
les repères de la vie civile.
En deux années, tout
leur semblait avoir changé. Les anciens copains étaient encore sous les
drapeaux ou déjà mariés. Venait alors l’heure du bilan. Ils regardaient les
souvenirs rapportés : le service à thé, les tortues terrestres, les
caméléons… Certains conservaient une santé altérée par les fièvres du paludisme
et les conséquences des dysenteries, des chauds et froids. Alors, avec
amertume, ils constataient avoir perdu les deux plus belles années de leur
jeunesse pourries par ce que l’armée les avait obligés à faire.