Le suisse de la paroisse

La paroisse de Saint-Philbert de Bouaine a compté un seul suisse d’église. Ce rôle honorifique a été confié à un sacristain méritant qui est bien entré dans la peau du personnage. Cette fonction a été créée à la fin du 18ème siècle pour donner une retraite digne aux vieux soldats. En conséquence, même si le suisse travaillait pour l’Église, il conservait une allure tout à fait militaire.

Le suisse d’église

L’origine des suisses d’église remonte aux Ordonnances Royales de 1771 instituant une pension de retraite pour les vieux soldats. On a envoyé les Suisses invalides démobilisés dans les paroisses du Royaume pour en assurer le gardiennage, la police et le service d’honneur, à la charge des paroissiens.



Les suisses d’église ont gardé leur uniforme rouge pour les solennités, et s’habillaient d’un capot bleu-gris pour les jours ordinaires. Ils portaient leur épée, privilège royal accordé aux vétérans de plus de 25 ans de service dans l’armée. Ils étaient armés de la hallebarde, les invalides étant incapables de se servir d’un fusil. La canne à pommeau était dérivée de la masse utilisée par les huissiers.

Après la Restauration, la tradition du « suisse » d’église a continué, avec toujours le même uniforme et les mêmes armes. La seule différence dans leur tenue est un peu plus de plumes et de galons, et un chapeau de gendarme à la place de l’ancien tricorne.

Le rôle du suisse d’église est de veiller au bon déroulement des cérémonies religieuses et de faire régner la discipline dans l’église. Il est aussi un maître de cérémonie, auquel obéissent tous les officiants de la messe, prêtre et enfants de chœur.


Le suisse de la paroisse de Saint-Philbert de Bouaine


Joseph Lefort est né en 1905. Il prit le métier de charron comme son père. Puis il ajouta une seconde profession, sacristain, comme le mentionne le recensement de population de 1936. Il a accepté cette charge avec celle de chantre en 1929, avant son mariage. Il avait donc un poste clé au sein de la paroisse. Le curé et son vicaire conduisaient la vie religieuse, notamment célébraient les messes. A côté d’eux, en tant que sacristain, il assurait le service matériel de l’église.

Chaque jour de la semaine, il ouvrait les portes puis sonnait manuellement les cloches pour les messes basses de sept heures et sept heures trente, les trois angélus de la journée – il déléguait parfois ses enfants pour cette tâche. Son dimanche était très occupé avec les messes de la matinée et les vêpres de l’après-midi. De plus, il était mobilisé par les cérémonies de mariage et de sépulture. Pour ces dernières, il installait les oriflammes sur les piliers d’église.(*) Il dédiait aussi beaucoup de son temps pour mettre en place la crèche de Noël, les statues et les décors arborés. Son travail fut allégé avec l’électrification de la manœuvre des cloches au milieu des années 1950.

Ses tâches s’étendaient à accompagner le curé pour le boisselage. En voiture à cheval, ils visitaient les familles dans les fermes pour collecter les sacs de blé qui servaient de paiement en nature du denier du culte.

Ses responsabilités s’étendaient à la préparation des cérémonies, la bonne tenue des fidèles… C’était un travail suivi qu’il accomplissait discrètement, habillé de vêtements sombres, sauf au niveau des chevilles car il ne portait jamais de chaussettes. Pendant les messes, son ombre circulait dans le chœur pour apporter divers objets. Puis il reprenait sa place dans une stalle latérale. C’est quand survenait un chant que sa présence se révélait car il l’entonnait avec une voix de stentor mais avec lenteur, le terminant ainsi plusieurs secondes après l’assistance.


C’est lors des grandes fêtes religieuses qu’il entrait dans la lumière. Le sacristain devenait suisse. Son dévouement avait été récompensé par cette distinction honorifique pour laquelle il reçut l’habit. Il enfilait une redingote rouge qu’il laissait ouverte sur sa chemise blanche, un haut-de-chausses rouge, des bas-de-chausses blancs, des souliers noirs. Il se coiffait d’un bicorne noir orné de longues plumes blanches et se gantait en blanc. Il affirmait sa puissance avec une épée à la ceinture, une hallebarde à la main gauche et une canne à pommeau à la main droite.



Ainsi paré, il se plantait au milieu du chœur, s’assurant de la bonne position du prêtre officiant et des enfants de chœur. Puis il ouvrait cette procession dans l’église dite de l’aspersion ou de « l’asperges me » qui voyait le prêtre bénir toute l’assistance. C’est le suisse qui commandait aux fidèles de se lever par quelques coups de sa canne sur le dallage. Pendant tout l’office, il s’activait majestueusement. Pendant l’élévation, il abaissait sa hallebarde en signe d’hommage.

Pendant les processions à l’extérieur de l’église, il se plaçait en tête, devant les bannières, pour ouvrir le passage.

Il mena ses activités pendant presque soixante-cinq ans, acceptant les nombreuses réformes liturgiques, jusqu’à la Toussaint 1993, où il prit une retraite méritée en transmettant sa charge de sacristain à André Cougnaud et Lucien Roy. Nul ne reprit ensuite l’habit de suisse.

(*) A cette époque, les classes des funérailles étaient au nombre de trois. Une quatrième s'y ajoutait, plus exceptionnelle : celle des indigents qui, sans ressources, ne pouvaient payer le passage à l'église. Pour les autres, le tarif était différent et le classement dépendait aussi de l'offrande faite pour le denier du culte. On retrouvait à l'église les distinctions des classes sociales à quelques nuances près.
Enfant de choeur à l'époque, j'ai en mémoire des différences remarquables dans les célébrations des funérailles. Un catafalque énorme pour les premières classes, réduit pour les autres. Des tentures en grand nombre ou aucune, jusqu'à la différence de couleur pour la soutane des enfants de choeur : violette pour les premières, noire pour les autres. Et une durée plus ou moins longue selon l'offrande versée. Cette différence de traitement s'exprimait dans une parodie de cantique : "Allons vite, dépêchons-nous, ce p'tit bonhomme a pas de sous..."
Le concile Vatican II a entraîné l'abolition de ces différences. Aujourd'hui la conduite des obsèques par des laïcs vise à la simplicité. Les différences sont plus dans le contenu des célébrations que dans le déploiement de la pompe ou de l'apparat. (D'après le témoignage du Père Robert Favrou)


Article d'Ouest-France du 24 janvier 1990 :




Article d'Ouest-France du 24 juillet 1994 :