Saint
Philbert de Bouaine
HISTOIRE
et SITUATION DU
VIGNOBLE
en 1840
par
Pierre PAROIS
Octobre
2005
Origine
de la vigne
La vigne a sans doute été introduite dans notre région dans les villae, ces grands domaines ruraux créés par les Romains dès le 3ième siècle de notre ère. La vigne a été maintenue par l’Eglise qui avait besoin de vin de messe, et également de vin de table, ainsi que les nobles et les bourgeois. On sait qu’au 6ième siècle, dans un poème, Fortunat vante le vin récolté sur un coteau dominant la Loire. Saint Martin, en fondant la monastère de Vertou a également fait planter des vignes. Le cépage était alors un cabernet franc venant de Gironde. Les invasions des Normands, à partir de l’an 843, entraînèrent pratiquement la destruction du vignoble. En 937, Alain Barbe-Torte chassa les Normands et les vignes seront alors replantées. Le cabernet franc, qui produisait un vin rouge de médiocre qualité, fut abandonné et remplacé par des cépages rouges venant de Bourgogne. Au 14ième siècle, le duc de Bretagne, Jean V, planta un cépage rouge à jus blanc, d’origine bourguignonne et qu’il nomma le berligou.
Dès 1415, on parle des Bossis, de Landefrère, y possédant des vignes. Dans un aveu, daté du 17 novembre 1557, du sgr de la Bouanchère au sgr du Grand Bois de St Colomban, il est question de trois planches de vigne dans le fief du Champ de Bonnin, contenant un journal et appartenant à Colas Jouhenet, marchand, demeurant à Landefrère. De même, Louis Guillon, demeurant dans le bourg de Bouaine, possède deux planches et demie de vigne, contenant un journal, situées dans le même fief. Dans ce même aveu on parle de Bastien Bossis, Méry et Antoine Bossis, frères, marchands demeurant à Landefrère, qui ont une charrie et demie de terre, plantées de présent en vigne, dans le fief du Champ de Bonnin.
Dans un registre d’aveux au duché de Retz, daté de 1674, il est question d’une vigne située dans le fief de la Sècherie. Le registre a été souillé par une grosse tache de vin rouge. Il s’agit peut-être de berligou ?
Vers
le 16ième siècle on introduisit le melon de Bourgogne qui deviendra
le muscadet.
En 1709 se produisit une terrible gelée, la température est descendue jusqu’à – 30°, la mer gela entre Noirmoutier et le continent. Les pieds de vigne périrent, il fallait donc replanter. Dans la région nantaise on replanta du melon de Bourgogne qui avait un peu mieux résisté à la gelée. Par contre, dans la région de St Philbert de Bouaine on introduisit la Folle Blanche ou Gros Plant, cépage provenant de la région des Charentes. Les commerçants hollandais installés à Nantes sont à l’origine de ce choix de cépage. Ils préféraient les vins blancs, surtout ceux qu’ils pouvaient facilement transformer en eau de vie, destinée aux pays du Nord, et prenant moins de place dans les bateaux que le vin en barriques. A partir de cette époque le gros plant a dominé à Bouaine, même après les destructions causées par le phylloxéra dans les années 1890-1900, et jusqu’à ces dernières années.
Durant les guerres de Vendée le vignoble a souffert, les hommes partis combattre, n’ont pas pu donner à la vigne tous les soins nécessaires en temps utile.
La vigne souffrait de l’oïdium et pour y remédier on importa en France des plants américains. Certains de ces plants contenaient des larves du phylloxéra. Le phylloxéra est un petit puceron ailé dont les larves vivent sur les racines des pieds de vigne et les piquent avec leur suçoir pour se nourrir de la sève. Les piqûres forment des boursouflures qui pourrissent, entraînant la perte des racines et le pied de vigne meure. Le seul remède fut de replanter avec des pieds américains résistant à la larve du Phylloxéra, pieds sur lesquels on greffait du gros plant. Tous les vignerons passèrent leurs veillées d’hiver à greffer.
Mode
de culture
La culture de la vigne nécessite des terrains graveleux, silico-argileux, terrains que l’on trouve à Bouaine. Au point de vue géologique on constate que les vignes ont été plantées principalement sur des terrains dont le sous-sol est constitué de trois genres de roches différentes. Celles situées vers Landefrère et au sud de la commune sont sur un sous-sol de leptynites, gneiss à sillimanite. A l’est de cette zone, autour des villages de la Boule et du Breuil du Faux, le sous-sol est constitué de micachiste à mica blanc. Par contre celles situées au nord du bourg et vers le Piltier, la Vrignais, elles sont sur un sous-sol de pliocène marin, sableux et graveleux. Nos ancêtres ne connaissaient pas toutes ces précisions scientifiques, c’est par l’expérience, l’observation des terrains et des cultures, qu’ils déterminaient les emplacements favorables à la culture de la vigne.
La grande partie de ces terrains dépendait de domaines nobles ou roturiers. Le seigneur ne pouvait pas planter de grandes superficies ni les cultiver ensuite. Par ailleurs, de nombreux journaliers et artisans voulaient avoir leur vigne pour récolter le vin nécessaire à leur consommation personnelle. La solution a été la suivante : le propriétaire loue le terrain, le preneur plante et récolte la vigne moyennant un loyer constitué par une part de la récolte. La location est faite pour la durée de la vigne. C’est le contrat à complant. Le terrain est alors divisé en planches d’une superficie de 2 à 3 ares. Sur chaque planche on plante en quinconce trois rangs de pieds de vigne sur la largeur de la planche. Un fossé est creusé entre chaque planche pour assurer l’écoulement des eaux pluviales.
Les façons culturales à donner à la vigne vont restées les mêmes au cours des siècles. Le vieux coustumier du Poictou[1] indique : Le teneur doit déchausser, tailler, fouir et biner. La terre est labourée à la main à l’aide d’un pic. Les ceps morts sont remplacés, principalement par marcottage. On enterrait un sarment encore attaché au cep. La partie enterrée produisait des racines et on pouvait alors séparer le sarment du pied-mère. La vigne était dressée en gobelet. A environ dix centimètres du sol, on laissait pousser au moins trois branches sur une longueur d’environ 50 centimètres à 1 mètre. C’est sur ces branches que pousseront les rejets qui porteront les raisins. La taille consistait à couper les rejets qui avaient produit des fruits pour laisser sortir de nouveaux rejets. La taille se faisait au moyen d’une serpette. Le sécateur n’est apparu qu’au début du 20ième siècle.
D’après les Usages Locaux de 1859, le nombre des façons à donner aux vignes, varie dans les différents cantons du département, de trois à cinq façons.
A Rocheservière, on raise[2] après la chute des feuilles, on taille en février
et en mars, on déchausse en mars et en avril, on bêche ou épichonne, en mai
et en juin, on met à plat en juillet.
A Rocheservière, l’usage interdit au fermier ou
colon de laisser sur les ceps une ou plusieurs branches ou gaules.
Le ban des vendanges est en usage dans la plupart des cantons où il existe des vignes à complant ; il est toujours obligatoire.
Le grappillage, c'est-à-dire la faculté accordée à tous d’aller, après la
récolte, ramasser dans les vignes les raisins laissés par les vendangeurs, est
en usage à Rocheservière, après les vendanges sans qu’il y ait pour cela un
délai bien déterminé.
Le
défaut de culture pendant un certain temps des vignes à complant, amène
ordinairement l’éviction du tenancier. Le propriétaire qui voudra se prévaloir
du défaut de culture, devra le faire constater par un acte de notoriété,
dressé soit par le juge de paix, soit par un notaire ; cette formalité
est la seule qui lui soit imposée pour rentrer dans la pleine et libre propriété
de son terrain. Lorsque le tenancier a négligé de donner à la vigne à
complant les façons ou quelques-unes des façons qu’elle doit recevoir, le
propriétaire peut toujours prétendre à des dommages et intérêts.
Les impôts dus sur les vignes sont à la charge du propriétaire.
Le sarment dans les vignes franches appartient ou au propriétaire ou au colon ;
dans les vignes à complant il appartient au tenancier ou complanteur.
Le vin, pour les vignes franches cultivées à moitié, est fait par le colon.
Dans les vignes à complant, le complanteur est quelquefois tenu de faire le
vin, mais le plus souvent il se libère de sa redevance ou vendange.
Le bailleur doit le pressoir à Rocheservière.
Le marc de raisin se partage entre bailleur et colon.
La vigne doit être fumée tous les cinq ans.
L’usage accorde parfois, pendant un temps plus ou moins long, en cas de
plantation d’une vigne nouvelle, au colon ou tenancier, la totalité des
produits ou une part de ces produits plus considérable que celle à laquelle il
peut prétendre dans les cas ordinaires.
L’édition de 1934 a apporté quelques modifications :
L’usage
interdit au colon ou fermier de laisser des gaules ou branches sur les ceps de
gros-plants, mais il est permis, et même nécessaire, de laisser sur les ceps
de muscadet ce qu’on appelle des torsis (ce sont des sarments qu’on
recourbe).
Le colon ou fermier est tenu de faire des provins sous peine de payer, à l’époque
de sa sortie, les ceps qui ont disparu.
Le colon ou fermier doit traiter les vignes au moins cinq fois chaque année, à
la bouillie bordelaise, aux époques convenables. Les frais en sont supportés
par moitié entre le propriétaire et le colon.
En cas de plantation d’une vigne nouvelle, les fruits appartiennent pendant
trois ans, y compris l’année de plantation, à celui qui l’a plantée.
Le marc de raisin appartient au propriétaire du pressoir.
Le tenancier d’une vigne à complant est évincé si, ayant été mis en
demeure, il a négligé pendant une année, la culture de sa vigne.
Le
bail à complant
Le vieux coustumier du Poictou indique :
le teneur doit porter la part due au seigneur à son hôtel à condition qu’il
soit situé à moins d’une demie lieue du fief de vignes. Le seigneur peut
reprendre la vigne à complant si le teneur n’y a pas effectué les façons
accoutumées. Le seigneur peut reprendre la vigne à complant sauf à payer des
dommages et intérêts au teneur.
Le bail à complant est transmissible et héréditaire, ce qui veut dire que le teneur pouvait vendre son bail à un étranger ou le laisser à ses enfants qui pouvaient le partager entre eux. Au cours des siècles les teneurs se sont efforcés d’agrandir leur lot en achetant les planches voisines et, plus tard, ses enfants le morcelaient à nouveau. Ceci explique l’extrême division des fiefs avec des parcelles de toutes les grandeurs. Le bail à complant prenait fin si la vigne était supprimée et non replantée. Dès avant la Révolution le bail à complant commençait à perdre de son intérêt en raison des obligations qu’il engendrait et surtout parce que les vignerons, devenus plus aisés, préféraient planter sur leur propre terrain. De leur côté, les propriétaires trouvaient embarrassant d’être obligé d’envoyer un « gendarme » pour surveiller les vendanges et de recevoir des lots de raisins de qualités très différentes. Ils se sont efforcés de vendre leur terrain au teneur de la vigne. Les archives des notaires locaux contiennent de très nombreuses ventes de terrain aux teneurs de la vigne. En 1840 tout n’avait pas été vendu et on retrouve au milieu des fiefs des parcelles encore soumises au complant et d’autres, rachetées par le propriétaire du fief et laissées en friche. Au moment de la Révolution, les vignes ont été négligées du fait de l’absence des hommes partis à la guerre, et certaines sont restées en friches pendant plusieurs années. Le 17 février 1802[3] Charles Alexis Beufvier, le propriétaire de la Sècherie, faisait établir un constat des vignes en friches sur ses fiefs. Il y avait au fief Louis 42 planches à Louis Redureau en 10 endroits différents, 2 à Jean Garreau, 5 à Mathurin Chaillaud, 3 à Etienne Chaillou, 8 à Etienne Lainé, 3 à Jacques Thibaud, 2 à André Parois, et 3 à Jean Thibaud. Dans le fief de la Sècherie, 8 à Pierre Quéreau en 7 endroits, 2 à Pierre Pipaud, 9 à René Baranger, 2 aux héritiers Garreau, et 3 à Jean Lainé. Dans le fief de la Chotardière 9 à René Fonteneau.
Les
vendanges
Le propriétaire du fief fixait la date du début des vendanges, le ban des vendanges. Le régisseur se tenait en permanence à l’entrée du fief, quelquefois dans une guérite installée pour l’occasion, et là, il faisait le partage des basses, celles pour le seigneur d’un côté, celles pour le teneur de l’autre côté. On a vu plus haut que le teneur devait transporter les basses du seigneur à son château.
Chaque vendangeur (ou vendangeuse) était muni d’un couteau et détachait les grappes pour les déposer dans son baquet en bois. Les baquets étaient vidés dans les basses et le raisin était écrasé au moyen d’un pilon. Les basses étaient placées parmi les ceps de vigne et, quand elles étaient pleines, on les transportait au bout de la vigne au moyen d’une civière. Les basses, après le partage avec le propriétaire, étaient conduites au pressoir. D’après le récit laissé par un vieux cousin, les vendanges chez Jean Parois à Landefrère, se passaient de la manière suivante : On mobilisait toute la famille, même le fils qui était curé dans le sud de la Vendée. Tous venaient avec leur cheval. On demandait même aux amis de prêter leur cheval durant le temps des vendanges. Toutes les personnes disponibles étaient rassemblées à Landefrère et Jean Parois leur désignait les parcelles à vendanger ce jour. Pour être sur d’avoir des vendangeurs, il prévoyait dans les conditions de location de ses maisons, un loyer en argent et un certain nombre de journées de vendange. Pendant la vendange, les basses étaient ramenées au pressoir par les chevaux. Ceux-ci étaient bâtés et de chaque côté il y avait un crochet. Les basses étaient munies d’un anneau sur un côté et on les hissait jusqu’au crochet du bât. Le cheval avec ses deux basses, était amené au pressoir, souvent conduit par un enfant. Le cheval de la maison, qui connaissait bien le chemin du retour à l’écurie, rentrait souvent tout seul au village avec son chargement. A midi et le soir tout le personnel était nourri à la maison.
Le
pressoir
La grande majorité des pressoirs étaient des pressoirs à long fût, dont il existe encore quelques exemplaires. Il y avait d’abord une grosse poutre de chêne, un fût, placée horizontalement un peu au dessus du sol. Sur la moitié, du côté du gros bout, était installé la maie. C’était une plate- forme en bois avec des côtés surélevés, de façon à constituer un récipient étanche dans lequel on allait mettre les raisins. De chaque côté de la grosse poutre était installé, au milieu et au gros bout, deux portiques formés chacun de deux montants verticaux en bois et reliés entre eux, en haut et en bas, par des traverses.
Pressoir moyenâgeux Ces montants étaient échancrés en leur milieu par une ouverture destinée à recevoir des traverses dites aiguilles et qui vont supporter la deuxième poutre. En installant plusieurs aiguilles on pouvait modifier la hauteur de la deuxième poutre et surtout son point d’appui, permettant ainsi de la surélever ou de l’abaisser suivant le besoin. Cette deuxième poutre était donc à l’horizontale et posée sur les aiguilles installées dans les portiques. L’extrémité libre de la deuxième poutre était reliée à l’extrémité de la poutre du bas par une vis en bois qui, en tournant, et grâce à un gros écrou en bois, pouvait rapprocher ou éloigner les deux extrémités des deux poutres l’une de l’autre. On actionnait cette vis au moyen d’une barre de bois introduite dans un trou aménagé au bas de la vis, à hauteur d’homme. Au XIXième siècle la vis en bois est remplacée par une vis métallique.
A côté de la maie du pressoir se trouvait une autre maie. C’est dans cette maie qu’on entreposait les basses quand elles arrivaient de la vigne. Elles étaient vidées et le raisin était ensuite repris à la pelle ou à la fourche et déposé dans la maie du pressoir.
Quand le raisin avait été jeté dans la maie, il était « maçonné » de façon à former un cube, dit le cep. Le raisin de gros plant, qui avait été pilé auparavant, était mou et on était parfois obligé de consolider le cep, la masse de raisins, avec de la paille. Puis, sur le cep on installait deux solives dites quenouilles destinées à soutenir une sorte de plancher formé de madriers généralement en frêne. Pour empêcher ces quenouilles de s’enfoncer dans le cep on les plaçait sur des bouchons de paille. Au dessus de ce plancher on installait une rangée de madriers, dits moutons, et au dessus, une autre rangée en travers et ainsi de suite pour terminer par le gros mouton qui supportera la poutre du haut. Pour pressurer le cep il fallait agir sur la poutre du haut. Cette poutre avait été au préalable monté en haut des portiques, supportée par les aiguilles qui s’appuyaient sur la partie basse des échancrures de chaque portique. En agissant avec la vis et en prenant appui sur les aiguilles du portique du milieu, on surélevait un peu l’extrémité de la poutre, ce qui libérait les aiguilles du portique du bout. On enlevait un certain nombre de ces aiguilles de façon à pouvoir faire descendre la poutre au niveau du gros mouton situé sur le cep. Ensuite, au moyen de la vis, on faisait monter une des extrémités de la poutre tandis que l’autre extrémité baissait jusqu’à l’aiguille du portique du bout. Alors, dans ce portique du bout, on installait des aiguilles pour empêcher l’extrémité de remonter. On dégageait ensuite les aiguilles du portique du milieu en surélevant un peu la poutre et on ôtait les aiguilles. Ensuite, en agissant avec la vis, on rabaissait le poutre à hauteur du gros mouton et en continuant d’agir sur la vis on pressait le cep. L’extrémité de la poutre ne pouvait pas remonter car on l’avait bloquée par les aiguilles mises au dessus dans le portique du bout.
Le premier pressurage n’arrivait pas à extraire complètement le jus du cep, on recommençait alors l’opération. La deuxième poutre était remontée, les madriers et moutons enlevés. Le cep se trouvait écrasé, et alors, au moyen d’un grand couteau spécial, on rognait les côtés du cep et la partie ainsi séparée était replacée sur le sommet du cep. On remettait en place les madriers et moutons pour obtenir une nouvelle tirée.
Le jus de raisin, le moût, s’écoulait de la maie dans le trou d’anche, sorte de réservoir où on puisait le moût au moyen d’un seau pour remplir les barriques. A la sortie de la maie, on installait un filtre pour empêcher les pépins de raisin, les morceaux de grappe, de tomber dans le trou d’anche. Ce filtre, constitué d’un fin grillage de laiton cloué sur un châssis carré, se nommait l’émoutresse. Le vin provenant des premières tirées était un peu différent de celui provenant des dernières. Cette différence se retrouvait dans les barriques puisqu’elles étaient remplies au fur et à mesure de l’arrivée du moût. Plus tard, à la cave, il était nécessaire de goûter à la pipette toutes les barriques car chacune avait son goût spécial.
Les barriques pleines étaient ensuite roulées dans la cave et placées sur des tins. La cave était souvent un bâtiment situé en appentis du pressoir. Seuls les logis et les grosses métairies possédaient un bâtiment spécialement conçu pour servir de cave.
Le pressoir était logé dans un grand bâtiment et la construction du pressoir-machine était certainement une dépense importante. Les personnes qui en possédaient un le rentabilisait en le louant. Il y avait également des pressoirs qui appartenaient indivisément à plusieurs propriétaires, comme cela se faisait pour les moulins.
Vente
du vin
La plus grande partie de la récolte était conservée par chacun pour sa consommation personnelle. Par contre, les gros vignerons vendaient leur vin, une partie dans les bourgs voisins mais la partie la plus importante était destinée aux nantais. Chacun avait sa clientèle de cafés nantais. Quand le vin était prêt pour la consommation, l’acheteur venait le goûter et choisissait les barriques. Alors commençait les voyages sur Nantes. Toutes les semaines, Jean Parois faisait charger cinq ou six barriques sur les limons d’une charrette à cheval. Le matin, de bonne heure, le charretier, avec son panier et sa gourde, de l’avoine et du foin pour le cheval, partait de Landefrère et prenait le chemin de Nantes. Le long du trajet il rencontrait d’autres charretiers et c’était de véritables convois qui montaient sur Nantes et qui en revenaient tard le soir. Le surplus des récoltes était distillé. Les gros exploitants possédaient leur alambic personnel et transformaient ce surplus en eau de vie. On a vu plus haut que des négociants hollandais installés à Nantes achetaient ces eaux de vie pour les expédier dans les pays du nord.
Le
Vignoble à Bouaine
En 1840 les vignes couvraient une superficie d’environ 318 hectares, ce qui correspond à 9 % des 3 412 hectares de terres cultivables de la commune.
Depuis l’origine de la vigne dans le pays, jusqu’à la Révolution, la plus grande partie des vignes se trouvait dans les fiefs concédés en petites planches aux particuliers par bail à complant. D’un côté il y avait la population rurale qui, à l’instar des nobles dans leurs châteaux, voulait améliorer son sort en ajoutant à ses repas le verre de vin qui réjouit le cœur de l’homme, et de l’autre côté, les seigneurs qui possédaient les terrains susceptibles de produire ce vin convoité. Comme indiqué plus haut, la solution adoptée pour résoudre ce problème, fut le contrat à complant : le seigneur fournissait le terrain apte à produire du vin, le complanteur, de son côté, plantait la vigne, assurait les travaux nécessaires à la production du vin et à la vendange, et donnait au seigneur, en paiement de la location du terrain, une part de cette récolte qui variait entre un quart, un cinquième. A partir du Xième siècle, et pendant les siècles suivants, cette solution est adoptée et perdure. A Bouaine, les seigneurs de la Sècherie, de la Ménolière, des Bouanchères, le propriétaire du domaine roturier de Landefrère, seront les premiers à faire planter de la vigne sur leurs terrains, sous contrat de complant. En 1840 on retrouve encore ces vieux fiefs caractérisés par le groupement des vignes sur un terrain bien délimité et la division de ces terrains en lots, en planches, de 1 à 3 ares. Au cours des siècles suivants, les autres propriétaires les imiteront et on assiste alors à la création de fiefs plus nombreux mais plus petits. Chaque complanteur est propriétaire de sa vigne, il peut la vendre ou la diviser. Aux cours des siècles suivants, des complanteurs vont achetés la vigne du voisin pour agrandir leur lot, par contre d’autres lots vont se diviser, il en résultera une modification sensible du parcellaire. Cette évolution du parcellaire était la continuation de ce qui se passait autrefois. En examinant les plans du cadastre de 1840 on retrouve des zones où les parcelles sont très petites, disposées en planches, ce qui permet de penser que ce sont d’anciennes vignes.
Je pense que c’est à partir de l’Empire que les choses vont évoluer sensiblement. Les propriétaires de métairies, pour beaucoup des nantais, se rendaient compte du revenu supplémentaire que la vente du vin pouvait leur rapporter, ils entreprirent alors de planter chez eux de nouvelles vignes sur des parcelles d’au moins cinquante ares et même de deux à trois hectares. Ces nouvelles plantations étaient faites en ligne et non plus en planches. En examinant le plan cadastral de 1840 on constate l’implantation de ces nouvelles vignes sur des terrains à proximité des sièges des métairies ou près des vieux fiefs. Cela est particulièrement évident au nord de la commune, à la Sèvetière, au Buisson, à la Grimaudière, à la Chotardière, à la Vrignais où la famille Bourdin-Reliquet va planter 13 ha 50 de vignes. Etienne Lequen, propriétaire du Coin Garat, plantera le fief du grand Coin de 5 ha 45 et le Milleau de 1 ha 30. Jacques Ursain, propriétaire de l’Aurière et de la Bordinière plantera 6 ha de vignes et son voisin, Urvoy de St Bedan, à l’Ecorce, en plantera 4 ha 65. L’architecte Léonard Seheult, au Buisson et au Pas Maré, 2 ha 36. A Landefrère, les gros vignerons, Samuel Bouanchaud plantera 2 ha 27, les Martin, 2 ha 44 et Jean Parois, 2 ha 20. Par ailleurs les propriétaires des vieux fiefs vont racheter les vignes complantées sur leur terrain. Les études des notaires locaux fourmillent d’actes de vente des droits de vigne au propriétaire du terrain. Monsieur de Tinguy, propriétaire de la Ménolière a réussi à racheter les droits de vigne sur son fief, sauf pour une seule personne qui y possédait encore en 1840 dix huit parcelles en complant.
En 1840, le vignoble a donc changé d’aspect : à côté des anciens fiefs divisés encore en petites planches de un à trois ares, on trouve de nouvelles plantations en ligne et sur de grandes parcelles, de 50 ares à 1 hectare. Cette nouvelle situation va perdurer pratiquement jusqu’à nos jours, tout au moins jusqu’en 1900. Le phylloxéra va détruire une partie du vignoble, les petites parcelles des anciens fiefs ne seront pas toujours remplacées, on va assister à l’abandon partiel des anciens fiefs, les vignerons replanteront en ligne sur des parcelles de terre plus grandes et plus faciles à cultiver. Les propriétaires des anciens fiefs reprendront leurs terrains qui seront alors mis en culture et exploités par le métayer voisin.
Et l’aspect du vignoble continue d’évoluer…. Depuis une vingtaine d’années, les petits exploitants, ceux qui cultivaient leurs vignes pour leur consommation personnelle et la vente du surplus dans la zone locale, abandonnent, mais par contre, d’autres vignerons vont faire de l’exploitation de la vigne leur véritable métier. Pour cela ils vont être obligés de se moderniser en matériel, ce qui va entraîner l’obligation d’agrandir les superficies exploitées et de s’équiper de machines à vendanger, de pressoirs automatiques, de caves avec de grandes cuves métalliques ou enterrées, du matériel nécessaire pour la mise du vin en bouteilles et sa commercialisation. La situation continuera à évoluer en raison de la mondialisation et de la concurrence des vins américains, australiens, e t c.
Pierre Parois.
[1] Le Vieux Coustumer du Poictou, par René Filhom.
[2] Raise : c'est-à-dire on cure les raies. On nomme raie l’étroit espace ou rigole qui sépare les planches de vignes, et raisage l’opération qui consiste à déblayer les raies des terres qu’elles contiennent et qui les obstruent, afin de faciliter l’écoulement de l’eau et de préserver ainsi la vigne d’un excès d’humidité qui lui serait nuisible.
[3] Etude de St Etienne du Bois.
ANNEXES :
Emplacement des vignes par feuille de l’ancien cadastre